LA VOGUE DE GIVORS   (1847)

Par A. Peillon, receveur municipal à Givors

8ème CHANT

Garçon, pot bien bouché. Monsieur je n'en puis rien faire,
Ce soir nous ne vendons ici que de la bière.
D'accord, c'est bien cela que je demande, parbleu :
Ainsi, vite une cruche et donnez-moi du feu.
Maintenant, doux tabac, sous un épais nuage
Des tableaux de là-bas dérobe-moi l'image.
A travers ta fumée à mon faible cerveau
Souvent m'est apparu tout un monde nouveau.
Là, plus de vain orgueil, plus de sanglantes guerres ;
Les français ne formaient plus qu'un peuple de frères;
Mais là, toujours trop tôt, au moindre courant d'air,
Monde nouveau, fumée,» tout fuit comme un éclair.
Symbole d'amitié, ta fumée enivrante
Au moindre contretemps, j'évapore impuissante,
Et comme toute chose ayant cours ici-bas,
Que reste-t-il, hélas ! Quelques cendres de toi.
Mais non, j'ai blasphémé, bon et chéri cigare,
Pardonne à mon humeur le dépit qui m'égare,
Privé de toi, là-bas, tout m'était importun
Et je préfère à tout ton suave parfum.
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Peste de ce café, les décors sont superbes.
Le gaz, jusqu'au plafond, s'élance en longues gerbes
Et ce riche comptoir ou le bel acajou
Atteste de Dubost le tact et le bon goût.
Enfin, luxe inoui, bifteks, jambons, gigots
A l'instar de Paris sont servis chez Dubost.
Et la carte du soir va-même, on me l'assure,
Jusqu'à parfois promettre et crème et confiture.
Toutefois supposant que la Prima donna
N'ai fait, sur ces douceurs, complète razia.
Mais, là-bas, du billard l'immense galerie
Nous annonce sans doute une forte partie
Et malgré qu'à ce jeu je ne sois pas un coq
Je ne méprise pas la science du bloc.
Le bloc! Mais qu'ai-je dit, j'ai battu la breloque,
Car comment, à présent, voulez-vous que l'on bloque,
Depuis que, par arrêt, ayant force de loi,
La blouse est supprimée, on ne sait trop pourquoi.
Oh ! Progrès, qu'as-tu fait de l'antique méthode
Qui pendant mon enfance était encore de mode.
Qu'êtes-vous devenu, patriarcal double?
Hélas! Votre bourreau c'est l'insolent effet.
Depuis qu'un procédé brutal autant qu'ignoble
A démocratisé ce jeu princier et noble,
C'est à qui trouvera le sublime moyen
Pour que du vieux billard il ne reste plus rien.
Déjà le procédé, brisant l'antique queue
Dont le son argentin s'entendait d'une lieue,
En a créé une autre au mince et long museau
Que plus d'un amateur taille encore en biseau.
L'effet voulut encore, désavouant la bille,
Proscrire des tutas la nombreuse famille,
Et mettant à néant jusqu'au coup de bas,
Proclamer des sept points l'officiel trépas.
Jadis, sur chaque queue, avec du mauvais plâtre,
Une fois par partie on mettait un emplâtre,
Et quand on désirait un résultat plus prompt,
L'amateur, tout au plus perforait le plafond.
Mais fi donc, aujourd'hui, le seul gandin qui gagne
C'est le gros bleu de Prusse ou le fin blanc d'Espagne ;
Si bien que d'un billard, le tapis, maintenant,
N'est plus vert que de nom, sous sa couche de blanc.
Jouis-donc de ta gloire, heureux carambolage;
La mode te ramène au printemps de ton âge
Sur le sol de Givors tu dois croître et lever,
Si le grand Jéricot veut bien t'y cultiver.
Jéricot ! à ce nom le Givordin tressaille
Comme le vieux soldat au seul mot de : bataille.
Jéricot, qu'on a peint par ce dicton flatteur :
II connut des rivaux, mais jamais de vainqueur.
Achille du coup dur, héros de la série,
Tl commence et déjà s'achève la partie.
En vain son adversaire essaie en le collant
D'amoindrir de son coup le vigoureux élan,
Qu'importé à Jéricot, direct ou de bricole,
Ne sait-il pas partout trouver le carambole ?
De l'effet, Jéricot n'est-il pas le César
Dont le sceptre est la queue et le trône un billard.
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Ah ! Voici de piquet savante académie. 
Approchons-nous pour voir cette docte partie. 
Le coup d'œil est gratis. Mais silence surtout ;
Car d'un mot vous pourriez faire manquer un coup.
Mais qu'ai-je dit ? Un mot, le bruit d'un nez qu'on mouche
Un innocent, hum ! Hum ! où le vol d'une mouche
Suffisent, m'a-t-on dit, pour qu'à ce jeu savant
On perde d'un grand coup l'avantage important.
Si bien qu'un bon docteur, expert dans la matière,
Inventa ce bon mot, devenu populaire :
Que près de deux joueurs un spectateur muet
Parlerait encore trop sur les coups de piquet.
Mais près de ces joueurs un quatuor en goguette
Joue avec gravité quel jeu donc ? La quadrette ;
Mais non, mieux que cela, c'est le piquet voleur,
Sobriquet, par ma foi, n'ayant rien de flatteur.
Digne et probe voleur, je le sens, à ta vue,
Mon âme est, malgré moi, bien doucement émue.
Tu rappelle à mon cœur, O ! Bienheureux piquet,
Les beaux soirs qu'autrefois je passais chez L. .. . .t
J'étais bien jeune alors, je m'ouvrais à la vie.
Le présent était doux à mon âme ravie.
Et doucement poussé vers un bel avenir
Le passé ne m'offrait que riant souvenir.
Mon regard plonge encore dans la modeste salle
Où luttaient chaque soir, d'une ardeur sans égale,
Prodigues de l'injure et l'air méchant. .... de loin,
Les valeureux champions du quatorze et du point.
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Et toi, mon vieil ami, pour qui j'écris ces lignes, 
C'est ici que mon cœur voudrait les rendre dignes, 
Car de ce temps heureux mon âme s'en souvient 
Notre sainte amitié date de son doux lien. 
Sous tes leçons alors mes essais poétiques 
Éclosaient en quatrains, charades et distiques ;
Et si malgré tes soins je ne pus réussir 
De tes leçons au moins je gardais souvenir. 
Aussi, quand j'ai pensé qu'à cette œuvre légère 
Il fallait d'un parrain l'égide tutélaire 
Saisissant mon crayon et consultant mon cœur 
J'ai du la dédier à mon vieux professeur.
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Et toi, de ces beaux soirs as-tu gardé mémoire ?
Te rappelles-tu bien du bon papa R.....
Déroulant un tapis qui fut vert autrefois
Et s'écriant, joyeux : « Messieurs tirons les rois »,
Heureux, trois fois heureux quand les destins prospères
Exauçaient nos désirs, nous faisaient partenaires,
Et liaient d'intérêt R.. . . . e avec Cadet,
Ou mieux encore Potin avec le grand L.. .. .t.
Car il m'en souvient, moi, de la rude apostrophe
Dont m'assaillait P. . . . .n, au jeu peu philosophe,
Lorsque par distraction ou par calcul faux
Pour m'être lâché l'on nous faisait capots.
Et lorsqu'à la couleur, de mes cartes absentes
Je ne pouvais entrer, O ! Fureur impuissante.
« II fallait jouer cœur » Mais je n'en avais point
« II fallait jouer cœur, c'était mon point !
« Mais je n'en n'avais point, blagueur inexorable
« C'est égal tu devais me jouer cœur, que diable,
« Je connais ce jeu-là, si ta me rentre cœur
« La carte était à nous, joaillon de joueur ».
Que répondre à cela ? Devant un tel génie
Ma foi je m'inclinai en toute modestie.
Veux-tu la preuve encore de ces heureux jours?
Mon cœur, malgré le temps se rappelle toujours,
Hein ? Combien disions-nous ? Onze, douze, treize,
Quatorze, cœur et la dernière seize.
« Allons donc dit P.... .n, modérant sa fureur,
« Tu n'entres que par huit et je suis souste à cœur ».
« Que dis-tu, dit L. ... .t, que la fureur enflamme,
« Je n'avais pas quarante et puis tierce à la dame.
« Et puis mes trois valets et ma tierce au roi,
« Passe donc par Vaise, espèce de Benoît »
« Tu n'as rien annoncé » « Mais si » Mais non, Machine
« La machine c'est toi, O ! Grande Fargine.
« Ah ! Tu voulais nous faire ! Eh bien, Gré nom de D. .. .
« Recommençons le coup et reprenons le jeu ».
Alors, t'en souviens-tu, jusques à la paix faite
Nous faisions tous les deux honorable retraite,
Et respirions l'air frais des beaux acacias
En attendant la fin des orageux débats.
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Mais où donc en étais-je ? Il me semble d'un songe 
Je viens de savourer le bienfaisant mensonge 
J'avais vingt ans de moins, mais ce rêve si beau, 
Hélas ! Vient de finir et je suis chez Dubost. 
Aimez-vous du cinq cents la chance singulière 
De gagner d'un seul coup une partie entière ? 
Aimeriez-vous avoir un célèbre cent vingt 
Dont l'heureux possesseur est si fier et si vain ? 
Voulez-vous voir enfin le bizarre mariage 
Baptisé par ce jeu du beau nom de binage. 
De ces quatre joueurs alors approchez-vous. 
Tenez, voilà l'un deux qui fait dix de dessous, 
Puis soixante de roi et quarante de dame. 
Au total cent dix points. Et cet autre réclame 
Quarante de binage et quarante d'atout, 
Puis ces vingt de valets, un kilogramme en tout.
Vous voyez qu'à ce jeu l'on peut d'arithmétique
Prendre, en bien s'amusant, une leçon pratique,
Et que nul ne saurait pratiquer le cinq cents
S'il ne sait de Bézant les premiers éléments.
Ah ! Voici l'écarté, jadis très à la mode,
Mais ma foi si ce jeu fait fureur au salon
Je n'y vois pas motif d'en vanter le bon ton.
Jusqu'à satiété dire toujours: Je passe,
Je l'avoue, à la fin me fatigue et me lasse.
Toutefois, j'aime assez d'un joueur désolé
Ce cri, souvent trop vrai : Monsieur, je suis volé.
Eh bien, de tous ces jeux, aucun pour moi qui vaille,
Quand j'y réfléchis bien, celui de la bataille,
Quel plaisir vaut celui de voir un sept d'atout
Tombant sur l'ennemi faire une rafle de tout;
Ou de voir un grand roi trahi par la fortune
Perdre sa royauté sans haine ni rancune,
Accourez à ma voix fameux calculateurs
Qui savez du destin sonder les profondeurs;
Ici point ne s'agit de calculs ordinaires
Pour chercher d'un écart les calculs arbitraires.
Oh ! C’est mieux que cela, du jeu de domino
Vous allez prendre ici leçon ex-professo.
Allons donc, dites-vous, quelle plaisanterie,
Quand vous vantez ce jeu c'est pure fantaisie,
Qui donc ne le connaît ? J'ai connu même un chien
Du nom de Numito qui le jouait très bien.
Oh ! Blasphême inoui ! ce jeu des fortes têtes ,
Serait donc, d'après vous, accessible aux bêtes ;
Vous ne savez donc pas, Oh ! Mortel ignorant,
Les mystères cachés au fond d'un double blanc.
Eh bien placez-vous là, tout contre cette table
Et vous ferez bientôt votre amende honorable.
Tenez, de ce joueur admirez la science ;
Comme, avant de poser, il calcule, il balance.
Ah! De moi, pour le coup, vous vous moquez, je crois,
On lui met trois partout et son jeu n'a qu'un trois.
Eh ! Donc, précisément c'est le beau de l'affaire,
Le fin joueur, par là fait croire à l'adversaire
Que les trois, à coup sûr, pullulent dans son jeu ;
L'autre mord au baboin et n'y voit que du feu.
Ah ! Tenez, pour le coup vous devez reconnaître
De la part de Monsieur vraiment un coup de Maître :
Monsieur, l'ayant tout seul, pose le double six,
Après profonds calculs et longtemps indécis.
L'adversaire, étonné, fait signe qu'il refuse,
Et Monsieur, triomphant du succès de sa ruse,
Lui fourre une calotte en parlant au badaud
Que la science est tout au jeu de domino.
Êtes-vous convaincu? Non, de par tous les diables,
Et même je soutiens vos raisons pitoyables,
Car enfin finissons et plus tard, j'en suis sûr,
Sur ce jeu vous aurez un jugement plus mûr.
Tenez, aimez-vous mieux le galant jeu de dames,
Dames de bois, s'entend, n'ayant de corps ni d'âme
Car pour celles ayant une âme avec un corps
On en fait pas un jeu dans notre bon Givors.
Nos dames au contraire en s'y jouant des hommes
Pourraient, le voulant bien, gagner de fortes sommes.
Mais bonnes avant tout, jouant sans ambition,
Gratis aux Givordins elles dament le pion.
Mais revenons au Jeu : Celui-ci, par exemple,
Mérite qu'à bon droit l'amateur le contemple.
Ce n'est pas en effet un jeu simple et banal.
Que l'on joue en causant, en lisant un journal.
Ce ne sont pas des mois mais de longues années
Qu'il faut avoir, dit-on, à ce jeu consacrées
Pour oser critiquer la démarche d'un pion,
Ou sur un coup de dame émettre une opinion.
Penchés sur l'échiquier que leur index effleure
Voyez ces deux champions qui, depuis plus d'une heure,
Attentifs et muets contemplent leurs soldats
Attendant vainement l'ordre de faire un pas.
Ah ! ça, dites-vous, ces deux joueurs sommeillent
Et si les spectacteurs ce soir ne les réveillent
Nous avons tous le temps de revenir demain
Et de leur retrouver le même pion en main.
Ils dorment ; vous croyez : pas du tout, au contraire
Ils ont, les yeux fermés, la perception plus claire,
Et comme à ce jeu-là le prompt coup d'œil est tout
On peut fermer les yeux et jouer jusqu'au bout.
Soyons justes, d'ailleurs, cette belle partie
Commencée à midi ne peut être finie
Avant minuit au moins, devancer cet instant
Serait faire, à ce jeu, l'affront le plus sanglant.
Car quiconque en un jour a fait partie entière
Se place par ce fait à la classe première.
Aux dames, deux joueurs s'endorment rarement,
Mais de la galerie il en est autrement.
Et le même docteur que, plus haut, je mentionne
Parfois à ses clients, pour somnifère, ordonne
D'aller, après-dîner, au café Dufournel,
Aux dames, voir jouer Peillon avec Dorel.
Mais silence, écoutons cette chanson de table
Qu'entonné à plein gosier, sur un ton lamentable,
Un paysan descendu de St-Jean-de-Toulas,
Pardon, suivant d'aucuns il serait d'Échalas.
Vainement un garçon vers la table s'élance,
Enjoignant au chanteur de garder le silence,
Sa voix se perd bientôt dans de bruyants refrains
Que répètent en chœur les convives voisins.
D'unanimes bravos éclatent dans la salle
Et, sautant à pieds joints sur le léger scandale,
Tous les habitués demandent à grands cris :
Ou de nouveaux couplets ou les honneurs du bis.
Et le brave chanteur qu'enivré tant de gloire
Pour chercher du nouveau fouillant dans sa mémoire
Et se revenant qu'il fût jadis clerjon,
Entonne gravement le Kirie eleisson.
Pour la seconde fois, pas n'est besoin de dire
Que le chanteur obtient un succès de fou-rire.
Mais voulant ensuite entonner le Credo
Cognât vient sagement opposer son veto.
Mais d'où vient dans ce coin un si bruyant vacarme
Que l'on parle déjà de police, de gendarme?
Garçon, qu'est-ce donc? Monsieur c'est un écot
Dont on ne peut payer un petit bichicot,
Ils redoivent trois sous et pour payer sont quatre :
Voilà le règlement qu'ils sont après débattre.
Diable ! C’est sérieux, et souvent, pour bien moins,
J'ai vu des règlements se faire à coups de poings.
Je m'approche et je vois quatre braves Chassaires,
Se traitant de filous, de voleurs, de faussaires,
Et ne parlant pas moins que d'une assignation,
Pour savoir qui paiera les trois sous en question.
O braves habitants des plaines de l'Isère
A qui toujours Thémis fût précieuse et chère,
Je reconnais bien là votre devise à tous :
Mangeons plutôt cent francs que de payer cinq sous.
Encore si, pour finir cette grande dispute,
Chacun en restait là de cette étrange lutte ;
Mais non, il faut vider la question du plus fort
Où le battu toujours est forcé d'avoir tort.
A i est dont coma tien que te voliô no fare,
Ma lô Juge de paix éclarcira l'affare.
Oua a l'éclarcira, grand bavor, grand voleur,
Bavor, t’ôs dit bavor ; si t'os un pou de cœur
Repeta dont su mot : Oua j’ou dirai incore,
Te n'esse qu'un bavor et poué zou provô vore,
Avez-vous remarqué (plaisanterie à part),
L'injure qu'un paysan attache au mot bavard.
Appelez-le fripon, coquin et voleur même,
II ne sortira pas de sa prudence extrême ;
Mais dites-lui bavard, soudain rougit son front,
II peut être un escroc, mais un bavard, fi donc.
Revenons à nos gens, à ce sanglant outrage
De passer pour bavard, l'accusé plein de rage,
Sur son accusateur tout à coup s'élançant,
Ils roulent tous les deux sur le parquet glissant.
Bientôt, sous leurs efforts, croule sur eux la table
Surchargée (O ! douleur! O! scène épouvantable!),
Surchargée, ai-je dit, d'un bol de punch flambant
Dont le cuisant contact leur sert de stimulant.
De l'eau, s'écrient-ils, de l'eau, qu'on nous inonde ;
Mais ce nouveau spectacle a glacé tout le monde,
Et chacun, immobile et muet à la fois,
Contemple avec stupeur ce nouveau feu grégeois.
Tel parfois un paquet d'allumettes chimiques
S'enflammant tout à coup, ces lueurs fantastiques
Que vous soufflez en vain s'attachent au sommet,
Et flambent sous vos yeux ainsi qu'un feu follet.
Ainsi nos deux héros se roulant dans la salle
Semblent environnés de flammes de Bengale,
Et si n'étaient leurs cris trahissant leur douleur,
On dirait deux lampions en verres de couleur.
Enfin deux grands seaux d'eau mettent fin à ce drame,
Autant et plus curieux, j'en jure sur mon âme,
Que la plupart de ceux nous venant de Paris,
Et celui-ci, de plus, nous est donné gratis.
Pour dommage et dégât Dubost produit un compte
Où tout, à juste prix, à vingt-cinq francs se monte,
C'est douze francs dix sous que chacun des champions
Paiera pour avoir fait concurrence aux lampions.
Mais ce noble combat les couvrant tous de gloire,
Ils soldent, sans rabais, de Dubost le mémoire,
Et tous quatre en partant, bras dessus bras dessous,
Se disent: Nous verrons qui paiera les trois sous.
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Mais pendant qu'au café le temps passe et s'écoule,
Sans doute que Fernand, là-haut, toujours roucoule,
Courons vite au théâtre et peut-être qu'encor,
Nous pourrons applaudir la belle Léonor.
Et tenez par ma foi nous arrivons tout juste
Pour entendre Fernand, aussi bête qu'injuste,
Accabler Léonor de son profond mépris
Et se tuer comme un sot aux portes du parvis.
La tendre Léonor, elle aussi, d'ordinaire,
Tombe comme une masse au seuil du sanctuaire,
Mais par avis exprès de la mère Porcheron,
Et vu la gravité de sa situation,
D'abord elle s'assied doucement sur sa chaise,
Et se perce le cœur alors tout à son aise.
Qui reste tout penaud ? C’est le seigneur Alphonse,
Dont le front devient pâle et le sourcil se fronce,
Mais qui, réflexion faite et l'air de bonne humeur,
Semble dire en partant : C'est un petit malheur.
Après cette sentence éminemment morale,
La farce étant jouée on déserte la salle.
Adieu donc, Désombrages; il est doux d'ajouter:
Au plaisir de vous voir celui de vous quitter.
Le café désemplit, car malgré qu'il en coûte,
II faut bien que chacun enfin se mette en route.
Ma foi l'homme paisible, au quartier du Canal,
Doit maudire les jours de spectacle ou de bal.
Gomment dormirait-il sous l'affreux tintamarre
Qu'en sortant du café la foule lui prépare.
Ce ne sont que hum ! Hum ! Eh là-bas ! Si ! Non ! Oui !
Plus ou moins discordant au milieu de la nuit.
Plus d'un couple pourtant, en silence et dans l'ombre,
Recherche des maisons la discrète pénombre
Et file, nonobstant un naïf Givordin
Lui criant : Eh! Là-bas ! Vous vous trompez de chemin !
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Moi qui connais le mien, pensif et solitaire, 
Je traverse le pont d'un pas que j'accélère 
Et bientôt parvenu dans le quartier joyeux, 
Son silence me dit, aussi bien que mes yeux, 
Qu'il est déjà trop tard et qu'à cette heure indue, 
II n'est pas bien séant d'errer seul dans la rue.
Et puis, ami lecteur, quelque soit mon chagrin, 
II faut nous dire adieu, nous séparer enfin, 
Ne le voyez-vous .pas? De mon modeste ouvrage, 
Vos doigts froissent les plis de la dernière page. 
Adieu ! Lecteur, adieu ! C'est mon dernier adieu. 
Quand nous reverrons-nous ? A la grâce de Dieu !
(FIN DU 8e ET DERNIER CHANT)

Copié sur l'original — confié par M. Peillon et avec son autorisation par M. Mourier - qui le lui a rendu en 1855 .

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