LA VOGUE DE GIVORS (1847) Par
A. Peillon, receveur municipal à Givors 4ème CHANT
Neuf heures moins le quart et j'ai donné parole
De reprendre, ce soir, d'historien mon rôle.
Adieu, siège si doux, vénérable fauteuil
Dont toujours je reçus si cordial accueil.
Et toi que j'aime tant d'Avril à Septembre,
Adieu, jusqu'à demain, fraîche robe de chambre.
Le devoir, aujourd'hui, parle plus haut que vous,
Et l'on manque à l'honneur manquant au rendez-vous.
J'ai mon passe-partout, ma canne, mes cigares
Et bien qu'avec regret je quitte mes dieux lares,
Ce n'est pas sans plaisir, je vous l'avoue enfin,
Que je compte, ce soir, être un peu libertin,
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Je veux redevenir jeune et célibataire,
Me reporter enfin de vingt ans en arrière ;
Mais je suis donc bien vieux pour parler de vingt ans
Comme pourraient le faire d'un jour deux enfants.
Hélas ! je le sais trop, sur ma brune moustache
Deux poils par leur blancheur à l'ensemble font tâche,
Et mon crâne jadis à l'abri de tout vent
Mais qu'importé après tout si le cœur est le même ;
L'on adore à vingt ans, à quarante ans l'on aime,
Et puis l'on est heureux en bornant ses désirs,
Le bonheur est à tous; chaque âge a ses plaisirs.
Mais cessons, il est temps, ce plaintif monologue.
Te dois sortir, je crois, pour jouir de la vogue,
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Et non pour raconter en maudissant le temps
Le dépit d'un auteur atteint de quarante ans.
Oh ! Oh ! Voici du neuf ou bien j'ai la berlue ;
Je vois sous mille feux resplendir notre rue.
Mes yeux sont éblouis. Qu'on vienne dire après
Que nous ne vivons pas au siècle du progrès.
Oui, chacun en convient, le progrès nous inonde,
Le progrès est partout, il transforme le monde ;
Conduits par le progrès nous marchons au galop,
Mais le diable, dit on, qui porte le fallût
Pourrait bien nous conduire, en bonnes gens qu'on berne,
Jusqu'au bord de l'abîme et souffler la lanterne.
Mais laissons le progrès et parlons du lampion
Ornement obligé de l'illumination.
Jadis nos bons aïeux, aux fêtes solennelles,
Piquaient sur leurs auvents de modestes chandelles ;
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Aujourd'hui c'est bien mieux, on allume un lampion
Et l'huile rance au suif a su damer le pion.
Rossi père, dit on, le premier eut l'idée
D'importer dans nos murs cette sale fumée,
Et ses imitateurs, sur lui enchérissant,
Givors fut infecté par le lampion puant.
Nos monuments nombreux, œuvre des temps antiques,
Sous mille transparents dérobent leurs portiques,
Et notre Hôtel-de-Ville étincelant de feux,
Dans les eaux du Souillât se montre radieux.
Sentences et rébus, devises et charades
Couvrent chaque maison, tapissent les façades,
Et mon regret bien vif est de ne pouvoir point,
En les consignant tous vous en rendre témoin.
Parmi les Givordins méritant une prime,
On doit citer d'abord Messieurs Tournier et Lime:
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Le premier a construit sur des dessins nouveaux
La colonne Vendôme à l'aide de bocaux.
Le haut du monument qu'à peine l'œil distingue,
Est encore surmonté d'une énorme seringue,
Dont le jet incessant déverse incessamment
Sur chaque promeneur un tiède lavement.
Vers le second la foule incessamment afflue
Pour voir, sur le balcon, la savante sangsue,
Qui devant un mortier et le pilon en main,
Concasse à tour de bras et rhubarbe et gramen.
A Lyon, j'ai bien vu la puce travailleuse
Danser la catchucha, la valse et la sauteuse,
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Puis, pour se rafraîchir, au milieu de ses jeux,
En place de sorbets sucer un bras nerveux.
Bref, que n'ai-je pas vu, j'ai vu mons Numitot
Rendant au plus malin des points aux dominos,
Mais c'est à Givors seul, je le dis l'âme fière,
Que j'ai vu la sangsue élève apothicaire.
Plus loin, un cabaret, à mes regards surpris,
Illumine un rébus de la foule incompris.
L'on y voit vingt vieillards à la face vermeille,
Assis sur des fauteuils..... Tandis qu'une bouteille,
Au dessus de leurs têtes; est suspendue exprès,
Comme jadis l'épée, effroi de Damoclès.
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Cherchez un double sens à ce rébus merveille,
Vous trouverez : « Vin vieux à six sous la bouteille ».
Un autre, pour prouver que jamais dans ses lits,
Les puces n'ont commis ni crimes, ni délits,
Illumine l'enseigne où se trouve la preuve
De cette prétention aussi juste que neuve.
On y lit, en effet, gravés en lettres d'or,
Après le bon logis, ces mots: « au lit on dort ».
Un énorme épicier, patenté prima classe,
Qui fait de la poésie en vendant sa mélasse,
Un homme enfin connu pour épicier savant,
A gravé ces beaux vers derrière un transparent :
« Tu dois voir, cher lecteur, à moins d'être bourrique,
« Mon premier près de l'ut quand tu lis la musique ;
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« Clarisse, avec son pied, quand la neige fond,
« Fait parfois mon second qui rime avec son nom.
« Quand à mon tout, lecteur, c'est une chose douce,
« Qu'on trouve en ma boutique et bonne pour la tousse ».
Un chef-d'œuvre pareil, on le sent, fait fureur,
Mais chacun cherche en vain le fin mot de l'auteur,
Lorsqu'un de ses amis à l'oreille me glisse :
« Gardez bien le secret, voici le mot : Réglisse ».
« Ah! Bah! Vous m'étonnez; mais ce rare épicier
« A donc beaucoup d'esprit ? Pardi son plein cellier».
Mais bientôt cette foule, inconstante et frivole,
Dédaignant la charade à d'autres plaisirs vole,
Pendant que quelques-uns dévorent du regard
L'horizon, encore noir, du pavillon Chapard.
Mais voyons si Rossi que le progrès dessèche,
N'aura pas inventé quelque nouvelle mèche:
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Peste ! c'est par trop fort, et mes yeux éblouis
En place de lampions ont cru voir des rubis:
Ce ne sont que festons, étoiles flamboyantes,
Qui reflètent au loin leurs clartés rayonnantes,
Et donnent à Rossi le talent neuf et beau
De faire avec du vieux sans cesse du nouveau.
Le lampion, chez Rossi, devient de la bougie,
Dont l'odeur et l'éclat tiennent à la magie.
Aussi, chacun se dit: « à Rossi le pompon,
C'est l'empereur du suif et le roi du lampion ».
Mais de l'art du lampion laissons l'aride étude ;
Aussi bien de l'orchestre on connait le prélude,
Et déjà, de Descours, plus d'un hardi soldat,
Par un aigu houacb se prépare au combat.
Et sa troupe bientôt, bien que troupe pédestre,
Va percher au juchoir qu'on appelle: un orchestre.
Les voici tous placés :... Vous plait-il un instant,
Arrêter un coup d'œil sur chaque exécutant;
D'abord ce gros garçon, au milieu de l'estrade,
C'est le fameux Descours, le chef de l'escouade,
Piston très remarquable, à son art tout entier,
De défunt Four à Chaux c'est l'illustre héritier.
Le voisin de Descours qu'au besoin il remplace
Est enfant de Givors qui pistonne de race,
Et son talent connu déjà dans maint Concert,
Rendra célèbre, un jour, le nom du jeune Imbert.
C'est un Imbert encore dont le doigté rapide
Voltige sur les clefs d'un grave ophicléide,
De ce tube béant un mugissement sourd
S'échappe et fait vibrer les vitres d'alentour,
Tandis qu'on voit d'Imbert la figure amaigrie,
A force de souffler se changer en vessie.
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Son rubicond voisin est un Imbert encor,
Professant tour à tour le violon et le cor ;
Parfois, même, on le voit emboucher la trompette,
Ou pousser des soupirs dans l'aigre clarinette ;
Jovial toujours, des Imbert le doyen,
D'avoir beaucoup d'amis a trouvé le moyen.
Indulgent pour autrui, gai, viveur, optimiste,
Tout décèle, chez lui, le véritable artiste.
Mais aux derniers les bons : Voici, pour le dessert,
L'illustre Sans Chagrin et quatrième Imbert.
Sans Chagrin, à coup sûr, dès sa plus tendre enfance,
A dû sentir du Ciel la secrète influence,
Car il tétait encore, qu'il composait, dit-on,
Sur l'air du Trou-la-la sa première chanson;
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Et nouveau maître de la Chapellerie,
Combien de fois, depuis, admirant son génie,
Ses compagnons de foule ont chanté le couplet
Soudainement éclos sous son coup de roulet.
Sans avoir jamais vu son extrait de naissance,
Sans Chagrin ne dut pas naître un jour d'abstinence ;
On doit croire plutôt qu'un jour de mardi-gras,
II naquit gros et frais, au milieu d'un repas.
Et que de là lui vient sa passion frénétique
Pour la dive bouteille et la chanson bachique.
Dès longtemps Sans Chagrin, solo de grosse caisse,
Est étonnant surtout de force et de justesse :
Tel on dit qu'autrefois, à son âne Farobot (1)
Mesurait chaque pas sous un coup de garot,
(1) Il faisait maigre chère l'âne de Farabot, dit Parrichon
Son maître disait qu'il se vengeait sur la boisson.* * *
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Et que l'aliboron, fait à cette musique,
En cadence sautait, sous chaque coup de trique;
Ou telle encore on voit, levant son cotillon,
Lise, à coups redoublés, jouer du batillon,
Et faire succéder, sur les bords de la Gare,
Au silence ordinaire un affreux tintamare ;
Ainsi fait Sans Chagrin sur son vaste tambour
Qu'il prend pour une enclume et frappe comme un sourd.
Si bien que, dans la rue, entendant ce tapage,
(i) II faisait maigre chère l'âne de Farobot, dit Parrichon Son
maître disait qu'il se vengeait sur la boisson.
Le chien le plus patient, s'enfuit, hurlant de rage,
Tandis que, Sans Chagrin semble, doublant d'efforts,
Avoir fait le pari de réveiller les morts.
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Mais laissons-la l'artiste et parlons du poète
Aimé, chéri de tous, qu'à l'envie chacun fête,
Et dont tous les couplets sont autant de refrains
Que chantent, au dessert, les joyeux Givordins,
Déplorons toutefois que Sans Chagrin refuse
Les honneurs de la presse aux enfants de sa muse ;
Qu'il cède donc aux vœux formés de toutes parts
De lui voir rassembler ses chefs-d'œuvre épars,
Et doter son pays de ses œuvres complètes,
Avec portraits, fleurons, gravures et vignettes.
Retournons à l'orchestre et contemplons Burlat,
Fignolant, sur sa caisse, un élégant fia fia.
Burlat, tambour et marinier sans crainte,
Manie également la baguette et l'empreinte,
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Et demain, laissant-là contredanse et galop,
Chacun pourra le voir amasser un pelot.
Ce jeune homme à l'œil noir, à brune chevelure,
Qui d'un maure d'Afrique a si bien la figure,
C'est l'artiste Mouton, le Tulou Givordin,
Essayant, sur sa flûte, un arpège anodin,
Mais que, sur son livret, de cadence, de trille,
Surgisse tout à coup l'importune famille.
Notre artiste excité, soudain prenant son vol,
Saura rivaliser avec le rossignol.
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Monier, qui vient après, a longtemps fait la guerre
A ce métier, dit-on, on ne s'enrichit guère,
II en a rapporté toutefois un trésor
Qui, pour être moins lourd, n'en vaut pas moins de l'or.
Le troc de son fusil contre une clarinette
Fut affaire pour lui spéculative et nette,
Car son appointement d'un mois de carnaval
Suffirait à payer sept ans de caporal.
Mais, pardon mille fois, un peu de courtoisie
Car, déjà, de beautés une troupe choisie
S'étale autour de nous comme un riche éventail
Où l'artiste a semé la perle et le corail.
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Que de grâces, d'attraits, quel luxe de toilette.
Comme dans des beaux yeux le plaisir se reflète,
Quand la timide Agathe accepte en minaudant
La brusque invitation d'un marinier galant.
Quel bonheur est égal à celui de Phémie
Qui, suspendue au bras d'une jalouse amie,
Pour la troisième fois lui dit, d'un air vainqueur:
Vois-tu ce beau Monsieur?... C'est mon prochain valseur
Mais comme le dépit ride mainte figure
Qui, malgré tout l'attrait d'une riche parure
En est réduite, hélas ! au titre peu flatteur
De critique jaloux ou de contemplateur.
Le signal est donné : Sitôt chaque visage
Au premier coup d'archet prend le sérieux d'usage,
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Et, soudain mille pieds, sautillant, frétillant,
S'élancent en zig-zag sur le sable mouvant.
Mathilde, au port de reine, avec grâce se cambre,
Ou fait plier sa taille ainsi qu'on fait d'un ambre.
Lise, aux pieds modelés sur ceux de Cendrillon
Voltige autour de nous comme un blanc papillon.
Pauline, avec un doux soupir, vous tend sa main mignonne
Qu'avec un doux sourire elle vous abandonne,
Et fasciné, tremblant, à ce contact soudain
II vous semble qu'un ange a touché votre main.Nini, petit lutin qu'en un jour de colère
Satan, pour nous damner, envoya sur la terre,
S'élance dans le cercle, et souple comme un chat,
Au milieu des bravos danse une catchucha.
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Puis, au signal donné, cavaliers et leurs dames,
Ruisselant de sueur, dans cette mer de flammes,
Bondissent et tournoient, pêle-mêle engagés,
Comme dans un bachut des goujons bravagés.
Mais, là-bas, dans le coin où la foule se presse
Qui peut donc provoquer ces longs cris d'allégresse ?
Approchons-nous, voyons, mais prudents avant tout
Préservons nos goussets du contact des filous.
Enfin j'ai pu percer et je vois dans l'arène
Un sec et grand Monsieur qui, tout seul se promène
A l'aspect amusant de cet ex-adonis
Je comprends de la foule et la joie et les ris.
Comme un faible échalas tourmenté par la pluie
Le corps de ce Monsieur d'un côté se dévie,
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Et pour garder l'aplomb on le voit en marchant
Projeter son jarret en forme d'arc-boutant.
Mais à part ce défaut dans son architecture
C'est un mâle visage, une noble figure,
Et je comprends très bien le regardant de près
Sa juste prétention à d'amoureux succès
Sur son nez large et plat, pour récréer sa vue,
S'étale en champignon une énorme verrue
Et sa bouche béante a la noble ambition
D'égaler en largeur un portail de prison.
Son habit étriqué, jadis de couleur noire,
Était de fort bon goût au temps du Directoire,
Et son chapeau ballon, moins noir que son habit,
Sous la Restauration était en grand crédit,
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Le bel homme impatient de faire une conquête,
A la grosse Fleuron adresse sa requête,
Et Fleuron jusqu'alors n'ayant pas étrenné
Le galantin par elle est bien vite entraîné.
Puis, sans perdre de temps, aussitôt la donzelle
Entendant le signal d'une valse nouvelle,
Elle empoigne notre homme et de ses bras nerveux
Le traîne dans le cercle en pirouettant tous deux,
La musique a cessé mais le couple hors d'haleine
Va toujours tournoyant, isolé dans l'arène,
Tant qu'enfin épuisé et tout le corps moulu
L'intrépide Fleuron s'affaisse sur son ...
Mais l'homme à l'habit noir que rien ne peut distraire
Continue à tourner privé de sa Commère
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Et tourne, tourne tant que chacun, tout de bon,
Se demande est-ce un homme ou bien un ton ton.
Sur des tableaux plus gais reportons notre vue
Et tenez, ce quadrille attend notre revue;
L'on n'y voit, dites-vous, que des adolescents
Et le doyen d'entr'eux compte-t-il bien quinze ans.
Tant mieux ! c'est le bel âge.., à la plus belle rosé
On trouve un grand défaut : celui d'être éclose.
Le plus court des printemps vaut le plus long hiver
Et trop tôt les boutons deviennent enguberts.
Comme ces beaux enfants, sans art ni pédantisme
Récitent déjà bien leur galant catéchisme,
Trop heureux mille fois s'ils savaient aussi bien
Celui qu'on leur apprend à titre de Chrétien.
L'un, âgé de douze ans, s'approchant de Zabelle
Salue en bégayant : à la première Mam'zelle,
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Et Zabelle répond, se dressant comme un pieu :
« Je suis trois fois reteinte.... impossible M'cieu ».
Mais, cet air, attendez : autant qu'il m'en souvienne
C'est bien... oui! parbleu ! c'est la Saint-Simonienne.
Levez-vous du tombeau héros du Batafi,
L'orchestre de Descours vous jette le défi,
Et vos ingrats enfants, loin de crier vengeance,
Appellent de leurs vœux l'infâme contredanse.
Qu'est devenu le temps où tous les Givordins
Partagés en deux camps : Guelfes et Gibelins,
Proscrivaient tour à tour le galop romantique,
Ou bien le Rigodon, vieux monument classique.
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Sous peine de soufflets il fallait, au Canal,
Galopper ventre à terre à l'instar d'un cheval,
Tandis que décrété, à peine de calotte,
Givors portait le joug de l'ancienne Gavotte ;
Et malheur à celui dont l'imprudent mollet
Violait en l'oubliant ce souverain décret ;
Un violent coup de poing lui brisant la mâchoire
Venait soudainement rafraîchir sa mémoire
Et lui faire avouer, chancelant sous le coup,
Qu'à la vogue, à Givors, on s'amusait beaucoup.
Mais le cadran obscur de notre vieille église
Marque près de minuit sur sa façade grise.
Mais bien loin aujourd'hui de presser le départ,
Au bruit des douze coups sur le bronze sonore,
Chacun dit avec joie: il n'est pas tard encore.
Seulement, comme entr'acte, et pour se délasser,
Pour demi heure au plus les danses vont cesser.
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Et chaque Givordin au bras de son amie,
Donnant un libre cours à sa galanterie,
Propose une visite au restaurant Bouchard,
Ou bien une ascension au pavillon Chapard.
Rossi voit affluer sur sa vaste terrasse
Des groupes affamés d'eau sucrée à la glace ;
Et jusque sur les quais nos promeneurs nombreux
Font retentir les airs de leurs accents joyeux.
Et notre orchestre atteint non d'une pleurésie,
Mais du mal gringaleux compliqué de pépie,
Laisse sur le tréteau clarinette et violon,
Et vole comme un trait à l'hôtel Cueilleron.
Vainement celui-ci de la voix et du geste,
Contre cette invasion se lamente et proteste,
S'élançant vers la table... armé d'un coutelas,
Le fifre, d'un seul coup, tranche deux cervelas.
Sans Chagrin, essoufflé, mais toujours calme et brave,
Soulève, incognito, le trapon de la cave.
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Et soudain disparait de l'abîme entr'ouvert
Avec la gravité du Bertram de Robert.
Un malheureux trombone atteint de la fringale,
A l'assaut d'un gigot qu'un tournebroche étale,
Se jette sur sa proie unguibus et Rostro,
Malgré le marmiton criant l/ade Rétro.
Le triangle affamé tout doucement se glisse
Dans un noir corridor et se montre à l'office.
Où l'ayant précédé, un pavillon chinois
Disséquait de son mieux un jambon à la noix,
Enfin désaltérés et la panse arrondie
Nos artistes gaiement reprennent la partie ;
Leur appel n'est pas vain et chacun accourant
De nouveau se reforme en escadron dansant.
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On doit compter pourtant quelques retardataires
Car, d'après les on-dit des deux vieilles Commères,
Plus d'un couple, ce soir, sans guide ni fallot,
Aura pu s'égarer dans le grand bois Bolot.
Et voyez, en effet, accourir Antoinette,
A sa robe froissée, à sa taille défaite
On devine aisément et l'on est convaincu
Qu'elle a du parcourir un sentier peu battu.
Dix minutes après accourt la jeune Agathe,
Ses beaux yeux sont baissés, son teint est écarlate
Et tout bas Margoton lui dit d'un air narquois:
« C'est-y vrai que t'a vu le grand loup dans le bois ».
Mais trêve aux sots propos.... sautez, dansez fillettes;
Pour nous plaire étalez vos plus fraîches toilettes,
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L'hiver viendra trop tôt.... profitez du printemps,
Et narguez à la fois envie et sottes gens.
Parbleu, me direz-vous, sublime est la morale,
C'est celle que jadis pratiquait la cigale
Qui flânant tout l'été quand venait l'aquilon
N'avait pour se chauffer le moindre grésillon.
Bah ! Bah ! Vous raffolez monsieur le Moraliste !
L'existence, avec vous, serait chose fort triste
Et le bon Lafontaine et sa ladre fourmi
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Étaient vieux à coup sûr quand ils parlaient ainsi.
Et sur ce, cher lecteur, vu l'heure très indue
Permettez qu'en courant je regagne ma rue,
Que pourrai-je, d'ailleurs, encore vous raconter
Sans vous ennuyer trop et sans me répéter.
Les lampions ont pâli, le ciel n'a plus d'étoiles,
Sur toute la cité la nuit étend ses voiles,
Et moi qui suis peureux, surtout quand il fait noir,
Je me sauve... à demain... ménagez-vous... bonsoir.
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30 novembre 2009 . yves.c@free.fr |